Lucien Battini aviateur !
(C) Par Jacques Moulin 2011.
Lucien Battini est à l'avant avec son chien (Origine Battini).
Il semble que les frères Battini Lucien et Louis-Gabriel, (mort des suites de blessures au Maroc, à Tunis, le 4 juillet 1928, il était alors lieutenant-colonel) aient construit des avions avant la guerre de 14/18, mais certainement aucun n’a quitté le sol.
Louis, Gabriel Battini, né le 16 novembre 1882, lieutenant d'infanterie, breveté ACF n° 508 le 25 mai 1911, breveté militaire n° 32, le 18 août 1911.
Lucien Battini, né le 20 janvier 1893, obtint son brevet de pilote militaire n° 3173 le 3 avril 1916.
Un des premiers appareils construits par les frères Battini à Epinay sur Seine avant 1914. (Origine Battini).
Une autre fabrication des frères Battini. Il semble que ce soit la Motocyclette volante de 1911 munie d'un moteur de voiture allégé et d'une hélice à pas variable (Origine Battini).
Madame Battini nous a communiqué une coupure de presse d’une période indéterminée et d’un journal probablement normand (édition de Bayeux) dont le nom nous est inconnu :
Nous avons évoqué ces jours derniers la vie de Lucien Battini, as de l'aviation française, retiré à Barbeville (Calvados). Voici quelques-unes des aventures vécues par Lucien Battini pendant ses trente années de pilote.
Pendant la guerre 14-18
Affecté dans l'aviation militaire en juillet 1918, Lucien Battini est envoyé en Serbie. Il y livre de nombreux combats et effectue des bombardements.
Lors de la prise de Monastir, au cours d'un duel aérien son passager est tué; certaines commandes de son Farman sont coupées et deux balles lui coupent des cheveux au ras de la tête ! Malgré cela, Battini ramène son appareil sur le terrain de l'escadrille, avec le cadavre de son camarade. Pour ce haut fait, le roi Alexandre, prince héritier de Serbie lui a décerné la médaille d'or de la bravoure.
Lors d'un bombardement de Sofia, il est attaqué par des avions allemands; il prend de l’altitude, dépassant la possibilité de plafond des assaillants. Il atterrit en Roumanie où il est décoré de l’Aigle Blanc. Il ne peut rester dans ce pays car les bombes roumaines ne s’adaptent pas à son appareil. Il ne perd pas son temps : il se charge de balles incendiaires et, en revenant, en pleine nuit, sans feux et au ralenti, il met le feu aux avions allemands alignés sur un terrain près de Monastir.
Il rentre seul après 22 heures de vol sur un avion de 80 ch.
Journal officiel de 8 avril 1917, p. 2.771.
« BATTINI (Lucien), caporal à l’aviation de l’armée Serbe : bon et dévoué pilote. A tenu à rester à Y... malgré un état de santé précaire. Le 24 décembre 1916, avec un avion gravement endommagé, a réussi à ramener sur le terrain de l’escadrille le corps de son passager tué au cours d’un combat avec un avion ennemi. (Ordre du 3 janvier 1917). »
L'avion s’enflamme
En 1922, au cours d'un essai sur un appareil prototype (type ?) il est victime du feu en vol.
Lucien Battini conserve tout son sang-froid; il atterrit normalement, sauvant l’équipage et rapporte des documents du plus haut intérêt. Cela lui vaut de vifs éloges.
La bicyclette volante de Pischoff.
Très mauvaise photo de Louis Battini aux commandes de la "Bicyclette de Pischoff".
Cette machine "la bicyclette " à été reconstitué et est presentée dans le musée Autrichien de l'aviation à Schenectady .
En 1922, M. de Pischoff a construit une petite machine volante munie d'un moteur de 10 ch. Le pilote n’avait qu’une selle de bicyclette pour s'installer, il disposait d'un manche à balai de 15 cm et de deux pédales pour diriger. Afin de limiter le poids il n'était pas conseillé de prendre un parachute. Le constructeur demande à Lucien Battini de faire un essai. Le départ s'effectue pour le mieux et ce modeste engin monte à 1.800 mètres.
Un voyage est risqué à plus longue distance. Il est envisagé de se rendre à Londres, mais la réserve d'essence est vraiment très faible. Il faut atterrir à Amiens puis à Calais pour se ravitailler.
La traversée de la Manche se déroule ensuite dans les meilleures conditions, en 4 heures 20. Le retour est effectué de même. Devant ce succès M. de Pischoff a voulu faire un essai de son appareil. Le brave homme avait compté sans ses 80 kilos ! L'appareil, trop chargé, a piqué au sol et le pilote a été tué.
En 1930 avec le « Zig et Puce »
Suite aux contacts récents avec sa fille nous avons reçu de sa part divers documents dont des précisions sur l’affaire « Zig et Puce » que nous avons traitée, en 1980 dans une publication dans le Trait d’Union et aussi ici :
http://aerophile.over-blog.com/article-l-affaire-du-zig-et-puce-44435151.html
Le "Zig et Puce" au Maroc lors du voyage (Archives Jacques Moulin).
II faudrait plusieurs colonnes pour raconter ce voyage; limitons-nous aux événements les plus marquants.
A bord du « Zig et Puce », Lucien Battini et un ami veulent aller de Paris à Douala (Cameroun). L'appareil est chargé plus qu'il ne faudrait et, après l'escale de Toulouse, il faudra, au décollage, passer sous une ligne à haute tension. De terrain en terrain, l'avion arrive en Espagne, sur une piste en construction; il s'enfonce jusqu'aux moyeux.
Enfin c'est le désert de Mauritanie dans lequel les voyageurs aperçoivent, de place en place, les avions brisés qui ont été abandonnés par les pilotes dont certains ont été faits prisonniers par les Maures.
La panne qu'il fallait éviter se produit justement et il faut atterrir au milieu des cactus épineux. La béquille de queue est cassée. Petite réparation au moteur aussi, mais, pour repartir, il faut fabriquer une piste, et il faut faire vite pour éviter d'être faits prisonniers.
L'arrachage des cactus est un travail pénible, toutefois, le soir, une piste de 200 mètres est préparée. La nuit tombe; il faut se contenter d'une bouteille d'eau pour tout repas. Pendant la nuit, la garde est montée à tour de rôle, revolver au poing. Puis c'est le matin. Hélas ! le vent a changé de direction et la piste ne peut plus servir, II faut en faire une autre ! Le soir, juste au moment du décollage surgissent des nomades avec un chameau. Ils sont à 300 mètres : pleins gaz, le « Zig et Puce » quitte le sol à quelques mètres du bout de la piste… Sauvés !
Un lecteur nous a fait parvenir cette photo prise au Maroc du Zig et Puce , très probablmenet à Agadir, à droite Lucien Battini (Origine Frederic de Frias.)
Devant le Zig et Puce au Maroc, de droite à gauche Batini, André Strohm (Militaire) un civil et une femme, l’enfant George Strohm puis deux militaires. (Origine Fréderic de Frias).
L'avion reprend alors la direction du nord, avec une halte à Agadir. L'appareil est logé dans les hangars du terrain d'aviation, en toute sécurité.
Fatalité : un terrible orage s'abat sur la ville, transformant le terrain d'aviation en lac. Dégâts divers, mais le moteur du « Zig et Puce » a pris l'eau et, au moment de partir, on s'aperçoit que le fuselage et les commandes sont envahis par 30 kilos, de sable.
Enfin, c'est le départ... Un nuage de sauterelles doit être traversé et il aura l'inconvénient d'obturer la buse d'air du carburateur; il faudra atterrir d'urgence, sous peine d'incendie.
Réparation et nouveau départ avec des hauts et des bas jusqu'au moment où Lucien Battini voit des « feux follets » devant lui. Ce n'est pas une illusion : le feu est dans le moteur. Il jette les papiers de bord et atterrit pour le mieux ; tout se passe bien. Mais l'appareil se met à flamber. En quelques minutes, il ne reste plus que des cendres qui dessinent sur le sol la forme du « Zig et Puce ».
Il faudra rentrer. A pied. Battini effectue 20 kilomètres pour trouver un village français. Voyant un cheval arabe il s'en approche et réussit à monter dessus pendant trois kilomètres. Là, il faut passer un gué. Lorsque le cheval est au milieu, incommodé par l'eau qui lui mouille le ventre il fait une ruade et notre aviateur n'a plus qu'à nager pour gagner la rive. Après de nombreuses péripéties Battini sera en relations avec Oran d'où une voiture viendra le chercher. Son camarade qu'il avait abandonné la veille pour venir par le train jusqu'à Oran le reçut avec joie. Retour à Paris, par bateau et par train. Ainsi se terminait un voyage particulièrement mouvementé.
Lucien Battini (avec un blouson d'aviateur et la moustache) avec cinq élèves
(Origine famille Battini).
En 1937 avec « l’Aile Volante » (1)
Sur l'aérodrome de Toussus-le-Noble en 1937, l'aile volante Fauvel faisait une splendide démonstration. Les journalistes présents rendaient le plus vif hommage au pilote Battini qui réussissait des choses extraordinaires sur cet appareil doté d'un moteur de 60 ch ; décollant en moins de 50 m et grimpant à 1.000 mètres en quelques minutes.
Alors Battini commença la plus éblouissante et aussi la plus extraordinaire démonstration aérienne que l'on puisse imaginer.
Et plus loin le même auteur écrivait : « L'aile volante Fauvel enthousiasma les connaisseurs présents et c'est une véritable ovation qui fut faite au pilote Battini à son atterrissage. »
Lucien Battini est donc le premier pilote du monde à avoir conduit une aile volante, qui était une invention française. Il nous a déclaré qu'en 1940 les Allemands ont volé ce prototype, qui n'a jamais pu être récupéré.
Mais, il nous faut nous limiter. Nous aurions à écrire encore une multitude d'anecdotes, tant il peut se passer de choses dans une vie de pilotage surtout à l'époque héroïque.
Souhaitons à Lucien Battini de continuer à vivre paisiblement à Barbeville et qu'il nous excuse si nous avons apporté un peu de trouble à une quiétude à laquelle il tient particulièrement.
M. H.
(1) Il semble qu'il s'agisse de l'aile Volante AV-10 de Fauvel.
Fauvel AV 10
L'AV-10 fut le premier avion de conception Fauvel à avoir volé. Biplace côte à côte, doté d'un moteur Pobjoy de 75 ch, il effectua son premier vol en 1935. Il fut présenté au XVe salon de l'aéronautique, au Grand-Palais à Paris, du 13 au 29 novembre 1936, en même temps que d'autres avions légers : Salmson "Cricri", Potez 60, Leopoldoff "Colibri", Peyret "Taupin". En 1937, L'AV-10 battit le record d'altitude dans sa catégorie en atteignant 5.791 m et devint la première aile volante titulaire d'un certificat de navigabilité. L'AV-10 resta un prototype unique qui permit à Charles Fauvel de développer ses compétences en matière de conception d'ailes volantes. Il disparut en 1940, saisie par les Allemands.
Envergure : 10,40m
Longueur : 4,45m
Hauteur : 1,78m
Vitesse maximum : 175km/h
Moteur : Pobjoy R de 75ch
1 pilote, 1 passager
La version améliorée AV14 aurait du atteindre 200km/h.
Une autre anecdote (racontée par Lucien Battini)
Voyage à Addis-Abeba
« 1932, … à une date dont la précision m’échappe…
« Le roi d’Ethiopie, le Negus, venant au Bourget, le gouvernement lui offre un avion HD 14, moteur rotatif 80 HP Rhône.
« Il est embarqué à Marseille ; débarqué à Alexandrie, il est remonté et je pars. Je survole les pyramides et le sphinx, puis les montagnes. Un Ethiopien, sans doute effrayé, me tire dessus.
J'atterris à Addis-Abeba sur un petit terrain où il y a deux autres pilotes français avec des avions beaucoup plus modernes que le mien; ils m'expliquent qu'il faut embrasser les pieds des rois, c'est une coutume.
« Une fois ces formalités accomplies, je reprends le train pour Djibouti en passant par Diré Daoua, c’est un véritable « tortillard »… Enfin, j’arrive et je prends le bateau pour rentrer en France, tout de même content d’avoir effectué une aussi belle « promenade »…
Biographie d'Alfred de Pischoff :
Alfred de Pischoff est né à Vienne en 1882 d'une famille française aux origines russes. Son goût pratique le porte à s'inscrire à l'ESTP tout juste installée à Cachan au début des années 1900. L'ambiance y est créative, stimulante, axée sur la réalisation technique. Il y sera diplômé en 1905 (conducteur de Travaux Publics).
Dès 1906 il se met à construire des planeurs qu'il essaie sur les buttes de Palaiseau. Il y côtoie les Farman, Blériot, Voisin...
En 1908, il s'associe à Paul Koechlin pour réaliser un monoplan qu'ils feront voler sur le terrain de Villacoublay (500 m).
Octobre 1909 : le voilà de retour à Vienne pour Wemer & Pfleider où il conçoit l'Autoplan.
Toujours en 1909 Alfred de Pischof est le premier à survoler le mont Saint-Michel : il s'entrainait pour la traversée de la Manche, mais Louis Blériot (son ex-ami) le devance le 25 juillet 1909.
En janvier 1912 il se posera même sur le campus de l'Ecole Spéciale des Travaux Publics à Cachan pour aller saluer devant des centaines d'élèves le directeur de l'époque : Léon Eyrolles avant de retourner à Port Aviation, son terrain d'attache.
En juillet 1912 Alfred part pour la Russie où il devient directeur de l’usine d’avions TERESTCENKO à Kiev. Quelques années plus tard, il est nommé sous-directeur de l’usine des avions ANATRA, à Odessa, puis il travaille aux usines d’avions MATHIAS à Berdiansk.
Fin 1917 il finit par s'engager volontaire dans les troupes impériales russes, aux côtés du général Anton Denikine.
Fin 1920 il est de retour en France où il décide de se consacrer à son rêve : mettre l'avion à la portée de tous en concevant un nouvel avion : l'Estafette (qui deviendra "l'avionnette", l'ancêtre de l'ULM - construit aux Ets Chauviere, à Ivry).
Le 13 août 1922, Alfred de Pischoff se tue à 40 ans en revenant de Villacoublay où il venait de faire une démonstration de sa « bicyclette volante ». Un violent coup de vent le projette hors de l'appareil au-dessus de Châtenay.